Dans un pays en proie à une crise multidimensionnelle où l’insécurité gangrène le quotidien de millions d’Haïtiens, l’arrivée d’Alix Didier Fils-Aimé à la Primature n’a pas été une simple formalité politique : elle a représenté un pari. Pari sur un homme venu du secteur privé, sans passé controversé, et qui incarne à la fois le renouveau, l’efficacité managériale et la volonté de changement.
Un profil atypique dans l’univers politique haïtien
Alix Didier Fils-Aimé, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti (CCIH), entrepreneur reconnu dans le domaine de la blanchisserie industrielle et des technologies de l’information, il s’est fait remarquer par sa rigueur, son pragmatisme et sa capacité à diriger des structures complexes. Sa nomination par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) en novembre 2024 a été interprétée par beaucoup comme un signal : celui de l’ouverture d’une nouvelle page, orientée vers la gestion technocratique plutôt que les calculs politiciens.
Mais ce profil prometteur suffit-il à endiguer une crise qui échappe depuis longtemps à toute logique institutionnelle ?
Depuis son investiture, le Premier ministre n’a pas tardé à poser des actes. Il a réuni régulièrement les ministres pour établir une feuille de route avec des indicateurs de performance, visité des régions frappées par les inondations, renforcé la coordination avec les douanes, et tenté de ramener un semblant de discipline dans l’administration publique. Son souci d’efficacité est salué, tout comme sa volonté de consulter les secteurs clés de la société avant de prendre de grandes décisions.
Il s’est également engagé à faire avancer les préparatifs pour des élections générales d’ici 2026, dans le but de rendre au pays ses institutions démocratiquement élues.
Une crise sécuritaire persistante et une attente de résultats
Mais si les intentions sont louables, elles se heurtent à une réalité brutale. L’insécurité, aujourd’hui structurée autour de gangs armés opérant en toute impunité dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, reste le principal frein à toute avancée politique ou économique. Les attaques contre les commissariats, les enlèvements de masse, les déplacés internes par centaines de milliers – tout cela compose un tableau qui échappe à tout contrôle depuis des mois, voire des années.
Le peuple attend du chef du gouvernement plus que des mots : il veut des résultats. La sécurité n’est pas seulement une priorité, c’est une urgence vitale. Et pour l’instant, malgré l’annonce de renforcement de la mission multinationale d’appui à la sécurité, la peur continue de régner dans les rues.
Là où d’autres ont échoué, Fils-Aimé se doit de convaincre, non par des discours, mais par des actions concrètes et visibles.
Un chef de gouvernement à l’écoute, mais sous pression
Le Premier ministre a montré une capacité à dialoguer avec les différents acteurs politiques, sociaux et économiques. Il ne gouverne pas en solitaire et cherche à construire des consensus, ce qui tranche avec une longue tradition d’exclusion et d’autoritarisme dans l’exécutif haïtien. Mais cette ouverture peut aussi être perçue comme un aveu de faiblesse s’il ne parvient pas à imposer une stratégie claire face aux défis majeurs.
Certains observateurs s’inquiètent déjà du manque de communication directe avec la population, et de la lenteur perçue dans la mise en œuvre de mesures fortes, notamment dans les zones les plus sensibles aux affrontements armés.
Une fenêtre d’opportunité, mais pour combien de temps ?
Le mandat du Premier ministre n’est pas illimité. Ni dans le temps – puisqu’il s’agit d’un gouvernement transitoire – ni dans la patience du peuple. La société haïtienne, profondément meurtrie, n’accorde plus de crédit aux promesses sans résultats. Mais paradoxalement, cette même société veut croire que, pour une fois, un dirigeant pourra transformer des engagements en actions concrètes.
C’est ce pari que symbolise aujourd’hui Alix Didier Fils-Aimé : celui d’une gouvernance moderne, tournée vers l’intérêt général, capable de restaurer l’État dans ses fonctions essentielles.
Il bénéficie encore d’un relatif capital de confiance. Il ne tient qu’à lui de le préserver, en affrontant sans détour la racine du chaos haïtien : l’impunité des gangs, la déliquescence des forces de l’ordre, et la perte de souveraineté sécuritaire.
Alix Didier Fils Aime: l’homme de la dernière chance ?
Fils-Aimé est-il l’homme de la situation ? L’histoire le dira. Ce qui est certain, c’est qu’il possède les qualités pour le devenir : méthode, écoute, pragmatisme et volonté de sortir Haïti du cycle infernal de l’échec. Mais ces qualités devront désormais s’exprimer dans l’urgence de l’action, et non dans la gestion symbolique du pouvoir.
Lui donner sa chance est un acte de foi. Mais le suivre de près, l’évaluer avec rigueur, et lui rappeler chaque jour l’ampleur de ses responsabilités est un devoir civique.
Car le temps n’est plus aux illusions. Il est à la reconstruction – ou à la chute définitive. Et c’est entre les mains d’Alix Didier Fils-Aimé que cette balance semble, pour l’instant, pencher.